Le nom de Roger Salengro vous est probablement inconnu. C'est pourtant à cet homme politique socialiste, qui fut ministre de l'Intérieur dans le gouvernement du Front Populaire, que l'on doit les congés payés et la Sécurité sociale, et qui fut également à l'origine de la semaine de 40 heures. Injustement oublié, Salengro était un homme de convictions, radical, mais profondément humain, qu'une campagne de presse calomnieuse, aveugle et haineuse, émanant de l'extrême-droite, poussa au suicide.
Né à Lille le 30 mai 1890, Roger Salengro, avoir passé son enfance à Dunkerque, fait ses études supérieures à la faculté de Lettres lilloise. C'est à cette époque qu'il adhère à la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO). Militant fougueux, le jeune homme est un pacifiste, qui n'hésite pas à semer le désordre dans les réunions de droite de l'époque. Après avoir effectué son service militaire, en 1912, il est mobilisé sur le front. En 1915, lors d'une attaque allemande alors qu'il tente vaillamment d'aller récupérer le corps d'un de ses camarades, il est fait prisonnier par l'ennemi, qu'il le maintiendra captif jusqu'à la fin de la guerre.
Revenu affaibli par trois années de captivité, il se lance dans le journalisme et le militantisme. Il est alors l'un des principaux animateurs de la SFIO dans le Nord.
Elu maire de Lille en 1925, puis élu député en 1928, Salengro est un homme extrêmement actif.
Sa foi en ses convictions et son engagement acharné lui permettent d'entrer dans le gouvernement du Front Populaire et d'obtenir le portefeuille du ministère de l'intérieur. C'est lui qui annonce la signature des accords de Matignon en juin 1936, qui garantissent de plus grandes libertés aux syndicats.
Salengro se révèle être un ministre brillant, qui n'hésite pas à aller directement parlementer avec les ouvriers grévistes. Socialiste fougueux et impétueux, tout de coeur et de tripes, le lillois est un adversaire virulent du patronat, de la droite et de l'extrême-droite. Son mépris de l'extrême-droite de l'époque, fielleuse et violemment raciste, qui s'exprime notamment au travers du mouvement Action Française et de son leader Charles Maurras oude l'immonde torchon du journal politique Gringoire, l'amènera à promulguer la loi sur la dissolution des ligues qui, le 18 juin 1936, interdit aux ligues d'extrême-droite de se réunir.
Ces dernières ne lui pardonneront pas. Et, pour assouvir leur soif de vengeance, elles attaqueront par la calomnie et le mensonge. Le 21 aoüt 1936, Gringoire, cerveau du complot visant à détruire Salengro, dont le député Henri Becquart fut l'inspirateur, publie un article intitulé Roger Salengro, ministre de l'Intérieur, a-t-il déserté ?. C'est bien évidemment complètement faux ; Salengro a été fait prisonnier le 7 octobre 1915 par les Allemands, alors qu'il tentait d'aller chercher le corps d'un camarade sur le front. Le ministre fut d'ailleurs très affaibli par cette période de captivité. Il n'a jamais déserté. Les accusations sont ainsi doublement blessantes pour lui ; l'accuser d'être un lâche, lui qui faillit perdre la vie, quoi de plus insultant ! Malgré les nombreux démentis apportés par le gouvernement Blum et par Salengro lui-même, Action Française, qui en plus d'être infiniment haineuse, est sourde et aveugle, ne renonce point. A chaque démenti, elle contre-attaque. L'opinion publique finit par être contaminée et soupçonne le ministre. Celui-ci, déstabilisé, se trouve qui plus est dans une situation moralement difficile ; sa mère est gravement malade et cela fait à peine un an que sa femme Léonie est morte. Qui plus est, la calomnie est relayée à l'Assemblée par Henri Becquart, chef de file de son opposition municipale à Lille, lequel, frustré de n'être pas maire, a sauté sur l'occasion pour faire gratuitement du mal à son adversaire. Salengro avait déjà fait face à cette rumeur accusatrice quelques années auparavnt, laquelle avait été répandue par des membres du PCF lillois afin de décrédibiliser le candidat qu'il était. Les accusations avaient déjà à cette époque été déclarées sans fondement. Mais la haine n'a point de cervelle ; l'extrême-droite ne cesse de renchérir. Peu à peu, la bataille affaiblit le ministre, qui développe de sérieux problèmes cardiaques. La violence des méthodes d'Action française n'a pas de limites : ils vont même jusqu'à poser sur la tombe de la femme du ministre une roue de vélo, bien en évidence - le ministre était fréquemment caricaturé en cycliste dans Gringoire. Les attaques se font de plus en plus répétées. Parallèlement, Léon Blum et son gouvernement, notamment Edouard Daladier, lequel n'était pourtant pas un ami de Salengro, affichent un soutien indéfectible au ministre de l'Intérieur.
Afin de faire définitivement cesser cette ridicule polémique, le leader du Front populaire demande à la Chambre des députés d'exprimer ou pas sa confiance en le ministre de l'Intérieur. Le 13 novembre 1936, Blum s'exprime devant l'Assemblée et défend avec ardeur son ami et collègue. Perchés au sommet de l'hémicycle, tels des oiseaux de mauvais augure, Maurras, Béraud - l'éditorialiste de Gringoire, futur collaborateur - et leur bande de tristes sires croassent leurs injures : "juif corrompu !", "menteur !", osent-ils éructer. Peu après, Salengro, la peur au ventre, se défend à la tribune. "Déserteur !" crient quelques lâches. "Moi, la guerre, je l'ai connue, j'ai le droit d'en parler" énonce-t-il, brisé et fatigué. Un discours poignant qui vient démolir la violente diatribe qu'Henri Becquart avait prononcé en début de session, affirmant sans complexe "de multiples preuves témoignent de la culpabilité de Salengro, vous le savez !". Affabulateur sans pitié, menteur convaincu. Quelle tristesse ... Cependant, la décision est sans appel : par 427 voix sur 530, l'Assemblée accorde sa confiance au ministre. La vérité a triomphé face à la calomnie destructrice. Les injures de l'extrême-droite sont balayées. Ou du moins auraient-elles dû l'être.
Le plaie profonde qu' Action Française et ses sbires ont infligées à Roger Salengro sont incurables. L'image du ministre est entachée. Malgré tout. Ce vote de confiance est arrivé trop tard pour sauver l'homme de la noire emprise de la dépression. Affaibli, vidé de toute force, le ministre ne retrouvera pas le goût de vivre. Ainsi, le soir du 17 novembre 1936, Salengro rentre chez lui, à Lille. Il est seul. Ayant pris soin de fermer portes et fenêtres et de mettre à la porte son chat, Salengro ouvre le robinet de sa gazinière. Il meurt dans les minutes qui suivent. Il a laissé en évidence sur sa table d'écriture un exemplaire de Gringoire paru le lendemain du vote, titrant Salengro est blanchi ; le voici devenu Proprengros !, ainsi que deux lettres ; l'une adressée à son frère, l'autre adressée à son ami Léon Blum, dans laquelle il déclare :
"Ma femme est morte il y a bientôt dix-huit mois de la calomnie qu'on ne lui épargna pas et dont elle souffrit tant. Ma mère ne se remet pas des suites de son opération et la calomnie la ronge jusqu'aux moelles. J'ai lutté de mon côté, vaillamment. Mais je suis à bout. S'ils n'ont pu réussir à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort, car je ne suis ni un déserteur, ni un traître."
On découvre son corps le lendemain matin. Les obsèques de Roger Salengro ont lieu le 22 novembre. Près d'un million deux cents mille personnes y assistent. Léon Blum y prononcera un de ses discours les plus poignants, dans lequel il rend responsable les journaux d'extrême-droite de la mort du ministre - laquelle extrême-droite n'éprouvera pas le moindre remord - et dans lequel il présente son ami comme "un socialiste populaire, modeste et têtu, à l'image des héros de cet âge d'or de la gauche". Roger Salengro est enterré au cimetière de l'Est à Lille.
Ainsi voilà l'histoire d'un véritable homme politique de convictions qui ne supporta pas que le mensonge entache son honneur. Martyr injustement oublié, homme de gauche, socialiste de coeur, être humain sensible, bosseur, attentif aux autres et désinteressé, il fut une victime innocente ; victime d'une extrême-droite charognarde et inhumaine qui réussit, par le biais d'immondes armes aveugles, à mettre à bas une des plus belle âme que les idéaux de gauche ont pu propulser. Puisse-t-il reposer en paix, sans douleur aucune.
Né à Lille le 30 mai 1890, Roger Salengro, avoir passé son enfance à Dunkerque, fait ses études supérieures à la faculté de Lettres lilloise. C'est à cette époque qu'il adhère à la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO). Militant fougueux, le jeune homme est un pacifiste, qui n'hésite pas à semer le désordre dans les réunions de droite de l'époque. Après avoir effectué son service militaire, en 1912, il est mobilisé sur le front. En 1915, lors d'une attaque allemande alors qu'il tente vaillamment d'aller récupérer le corps d'un de ses camarades, il est fait prisonnier par l'ennemi, qu'il le maintiendra captif jusqu'à la fin de la guerre.
Revenu affaibli par trois années de captivité, il se lance dans le journalisme et le militantisme. Il est alors l'un des principaux animateurs de la SFIO dans le Nord.
Elu maire de Lille en 1925, puis élu député en 1928, Salengro est un homme extrêmement actif.
Sa foi en ses convictions et son engagement acharné lui permettent d'entrer dans le gouvernement du Front Populaire et d'obtenir le portefeuille du ministère de l'intérieur. C'est lui qui annonce la signature des accords de Matignon en juin 1936, qui garantissent de plus grandes libertés aux syndicats.
Salengro se révèle être un ministre brillant, qui n'hésite pas à aller directement parlementer avec les ouvriers grévistes. Socialiste fougueux et impétueux, tout de coeur et de tripes, le lillois est un adversaire virulent du patronat, de la droite et de l'extrême-droite. Son mépris de l'extrême-droite de l'époque, fielleuse et violemment raciste, qui s'exprime notamment au travers du mouvement Action Française et de son leader Charles Maurras ou
Ces dernières ne lui pardonneront pas. Et, pour assouvir leur soif de vengeance, elles attaqueront par la calomnie et le mensonge. Le 21 aoüt 1936, Gringoire, cerveau du complot visant à détruire Salengro, dont le député Henri Becquart fut l'inspirateur, publie un article intitulé Roger Salengro, ministre de l'Intérieur, a-t-il déserté ?. C'est bien évidemment complètement faux ; Salengro a été fait prisonnier le 7 octobre 1915 par les Allemands, alors qu'il tentait d'aller chercher le corps d'un camarade sur le front. Le ministre fut d'ailleurs très affaibli par cette période de captivité. Il n'a jamais déserté. Les accusations sont ainsi doublement blessantes pour lui ; l'accuser d'être un lâche, lui qui faillit perdre la vie, quoi de plus insultant ! Malgré les nombreux démentis apportés par le gouvernement Blum et par Salengro lui-même, Action Française, qui en plus d'être infiniment haineuse, est sourde et aveugle, ne renonce point. A chaque démenti, elle contre-attaque. L'opinion publique finit par être contaminée et soupçonne le ministre. Celui-ci, déstabilisé, se trouve qui plus est dans une situation moralement difficile ; sa mère est gravement malade et cela fait à peine un an que sa femme Léonie est morte. Qui plus est, la calomnie est relayée à l'Assemblée par Henri Becquart, chef de file de son opposition municipale à Lille, lequel, frustré de n'être pas maire, a sauté sur l'occasion pour faire gratuitement du mal à son adversaire. Salengro avait déjà fait face à cette rumeur accusatrice quelques années auparavnt, laquelle avait été répandue par des membres du PCF lillois afin de décrédibiliser le candidat qu'il était. Les accusations avaient déjà à cette époque été déclarées sans fondement. Mais la haine n'a point de cervelle ; l'extrême-droite ne cesse de renchérir. Peu à peu, la bataille affaiblit le ministre, qui développe de sérieux problèmes cardiaques. La violence des méthodes d'Action française n'a pas de limites : ils vont même jusqu'à poser sur la tombe de la femme du ministre une roue de vélo, bien en évidence - le ministre était fréquemment caricaturé en cycliste dans Gringoire. Les attaques se font de plus en plus répétées. Parallèlement, Léon Blum et son gouvernement, notamment Edouard Daladier, lequel n'était pourtant pas un ami de Salengro, affichent un soutien indéfectible au ministre de l'Intérieur.
Afin de faire définitivement cesser cette ridicule polémique, le leader du Front populaire demande à la Chambre des députés d'exprimer ou pas sa confiance en le ministre de l'Intérieur. Le 13 novembre 1936, Blum s'exprime devant l'Assemblée et défend avec ardeur son ami et collègue. Perchés au sommet de l'hémicycle, tels des oiseaux de mauvais augure, Maurras, Béraud - l'éditorialiste de Gringoire, futur collaborateur - et leur bande de tristes sires croassent leurs injures : "juif corrompu !", "menteur !", osent-ils éructer. Peu après, Salengro, la peur au ventre, se défend à la tribune. "Déserteur !" crient quelques lâches. "Moi, la guerre, je l'ai connue, j'ai le droit d'en parler" énonce-t-il, brisé et fatigué. Un discours poignant qui vient démolir la violente diatribe qu'Henri Becquart avait prononcé en début de session, affirmant sans complexe "de multiples preuves témoignent de la culpabilité de Salengro, vous le savez !". Affabulateur sans pitié, menteur convaincu. Quelle tristesse ... Cependant, la décision est sans appel : par 427 voix sur 530, l'Assemblée accorde sa confiance au ministre. La vérité a triomphé face à la calomnie destructrice. Les injures de l'extrême-droite sont balayées. Ou du moins auraient-elles dû l'être.
Le plaie profonde qu' Action Française et ses sbires ont infligées à Roger Salengro sont incurables. L'image du ministre est entachée. Malgré tout. Ce vote de confiance est arrivé trop tard pour sauver l'homme de la noire emprise de la dépression. Affaibli, vidé de toute force, le ministre ne retrouvera pas le goût de vivre. Ainsi, le soir du 17 novembre 1936, Salengro rentre chez lui, à Lille. Il est seul. Ayant pris soin de fermer portes et fenêtres et de mettre à la porte son chat, Salengro ouvre le robinet de sa gazinière. Il meurt dans les minutes qui suivent. Il a laissé en évidence sur sa table d'écriture un exemplaire de Gringoire paru le lendemain du vote, titrant Salengro est blanchi ; le voici devenu Proprengros !, ainsi que deux lettres ; l'une adressée à son frère, l'autre adressée à son ami Léon Blum, dans laquelle il déclare :
"Ma femme est morte il y a bientôt dix-huit mois de la calomnie qu'on ne lui épargna pas et dont elle souffrit tant. Ma mère ne se remet pas des suites de son opération et la calomnie la ronge jusqu'aux moelles. J'ai lutté de mon côté, vaillamment. Mais je suis à bout. S'ils n'ont pu réussir à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort, car je ne suis ni un déserteur, ni un traître."
On découvre son corps le lendemain matin. Les obsèques de Roger Salengro ont lieu le 22 novembre. Près d'un million deux cents mille personnes y assistent. Léon Blum y prononcera un de ses discours les plus poignants, dans lequel il rend responsable les journaux d'extrême-droite de la mort du ministre - laquelle extrême-droite n'éprouvera pas le moindre remord - et dans lequel il présente son ami comme "un socialiste populaire, modeste et têtu, à l'image des héros de cet âge d'or de la gauche". Roger Salengro est enterré au cimetière de l'Est à Lille.
Ainsi voilà l'histoire d'un véritable homme politique de convictions qui ne supporta pas que le mensonge entache son honneur. Martyr injustement oublié, homme de gauche, socialiste de coeur, être humain sensible, bosseur, attentif aux autres et désinteressé, il fut une victime innocente ; victime d'une extrême-droite charognarde et inhumaine qui réussit, par le biais d'immondes armes aveugles, à mettre à bas une des plus belle âme que les idéaux de gauche ont pu propulser. Puisse-t-il reposer en paix, sans douleur aucune.
Dernière édition par Vilyoom le Jeu 21 Mai - 1:39, édité 7 fois